Lectures d’août

 

 

 

Roman

En attendant Bojangles, Olivier Bourdeaut

Éditions Finitude, 2015

 

Bon nombre de critiques ont cru voir, dans ce roman baigné d’une douce bizarrerie, un lien évident avec l’Écume des jours, pour ce même goût partagé des mensonges à l’endroit, à l’envers, et comme Boris Vian le romancier aurait pu l’affirmer, « l’histoire est entièrement vraie puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre. »

Olivier Bourdeaut explore la face flamboyante et légère d’une vie de famille totalement barrée : la mère, dont le prénom change chaque matin, vit au rythme de sa démence, des cocktails et de la danse ; le père met en scène les « fantaisies, les idées farfelues, les fêtes impromptues » décidées par sa femme ; le fils a été retiré de l’école primaire pour lui éviter de côtoyer ennui et discipline. Tous les trois vivent au sein d’un vaste appartement, avec un grand oiseau ramené d’Afrique (prénommé Mademoiselle Superfétatoire), dans une « douce marginalité, avec des pieds de nez perpétuels à la réalité, des bras d’honneur aux conventions, aux horloges, aux saisons, des langues tirées au qu’en-dira-t-on ».

Est-il donc possible de tout envoyer balader et d’exister comme bon nous semble, pour enfin donner un sens à notre vie ? Pouvons-nous vraiment être libres de réinventer notre quotidien, de refuser sa triste et banale réalité au profit d’une fête permanente, débarrassée des contraintes ? Et quel en serait finalement le prix à payer ? Car après des années de fêtes, de voyages, d’excentricités et d’extravagante gaîté, la santé mentale vacillante de la mère finit par trébucher, et c’est dans un hôpital psychiatrique que cette folle épopée va se poursuivre.

En fait, c’est plutôt vers les Fiztgerald que nous entraîne Olivier Bourdeaut (de la coiffure de Scott qu’il prête au père jusqu’à l’internement de Zelda pour schizophrénie) et vers ces années folles, légères et étourdies, où l’alcool coulait à flots sur des airs de jazz. L’ »amour fou », qui n’a jamais si bien porté son nom, est un fil fragile qui finit toujours par se briser, car la raison n’apprécie pas longtemps qu’on se joue d’elle. Des premières pages aériennes et cocasses, on glisse doucement vers l’inéluctable, le point de non-retour où seule la mort accepte d’accueillir deux siphonnés qui jouent pour l’éternité leur folie à quatre mains.

 

 

 

Poésie

Élégies étranglées, recueil d’Olivier Barbarant*

Éditions Champ Vallon, 2013

 

 

Je suis assis dans mon passé chaque flaque est un reflet

Et le propre de la mémoire est qu’à chaque pas l’on s’y blesse

Le langage fait défaut quand on perd à huit mois d’intervalle un père qui s’est doucement dissout dans un hospice de province et une mère très aimée dont le cœur a brutalement flanché. Il faut accepter le vide soudain, le silence, les absences, le chagrin et le manque. Or c’est lui, le fils, Olivier Barbarant, qui aurait dû partir le premier, condamné à mort à vingt ans par un médecin inapte,

Si bien que vivre m’est survivre

Sans rien comprendre à mon maintien.

 S’il n’y a aucune image convenue pour envelopper la douleur, intime et tenace, la poésie a, elle, toute sa place : en vers de sept ou huit syllabes, en vers libres ou en prose, l’auteur oscille entre la réalité crue et cruelle (déchéance, derniers instants, cimetière, maisons à vider, vestiges et objets retrouvés) et les souvenirs qui viennent habiter son existence délabrée. Écrire une élégie au raz du malheur est casse-gueule. Nulle sensiblerie hypertrophiée chez Olivier Barbarant, qui consent à son émotion sans incontinence lacrymale,

Moins le moi pèse et plus la vie

S’illumine quand on s’efface

La cérémonie des adieux est belle, sobre et digne :

Il n’y a rien qui rende fou

Comme le calme en plein malheur

Sans un sanglot subir debout

Une apocalypse intérieure

Il faudra certes un peu de temps pour accepter la solitude, apprendre à vivre en se griffant aux détails qui rappellent les absents, supporter que la vie des autres qui continue d’avancer se cogne à une immobilité intérieure sidérée.

Le ciel indifférent où charbonne la nuit

Le soir griffé de voitures

Se reproduisent

Quoi que je fasse le présent grouille dont vous n’êtes plus.

 

* Poète, né en 1966, lauréat du Prix Tzara en 1996 et du Prix Mallarmé en 2004. Professeur de Lettres, il dirige la publication de l’œuvre poétique d’Aragon dans la Pléiade, à laquelle il avait consacré sa thèse.

 

 

 

Roman

La Servante écarlate (The Handmaid’s Tales), Margaret Atwood

Éditions Robert Laffont, 1985

 

Rares sont les romans qui supportent les adaptations à l’écran. Le plus souvent, je peste contre le brouet clairet qui subsiste après les élagages des scénaristes et les trop grandes simplifications qu’impose un film de deux heures sur un livre de cinq cent pages. C’est exactement le contraire qui s’est produit avec le roman de Margaret Atwood, qui se retrouve sublimé dans une série incroyablement maîtrisée, visuellement parfaite (l’esthétisme est saisissant), et qui sait prendre son temps. Là où je me suis laissée embarquer sans résistances, fascinée ou horrifiée par cette vision d’un futur proche, malheureusement envisageable, le livre m’a paru longuet et surtout épouvantablement mal écrit. J’ignore s’il faut en blâmer Margaret Atwood ou sa traductrice, mais on a la désagréable impression d’avoir entre les mains un premier jet mal cousu et inachevé. Certes, le travail de la romancière est implacable sur le fond, sa réflexion sur la dérive d’une démocratie vers une dictature militaro-religieuse est habile – voire clairvoyante, et la pérennité de cette nouvelle société repose sur une analyse subtile des rapports de domination/soumission. Cependant, le texte reste d’une froideur, d’une distance toute clinique, sans une once d’émotion. Si les images suintent l’angoisse et la peur permanente dans un environnement silencieux et anxiogène, nulle tension ne transparaît dans l’écriture fastidieuse. Margaret Atwood dépeint l’engrenage qui prive les femmes de leur identité, de leur individualité, à travers le personnage d’une Servante presque apathique, résignée, très loin d’une héroïne qui remet en question sa condition de « ventre sur pattes ». La série, sans en faire un personnage révolté caricatural, lui donne de l’épaisseur, une colonne vertébrale, une conscience, qui finit par la mener vers le refus de l’autorité imposée au péril de ce qui lui reste de vie, pour elle-même et aussi par solidarité avec les autres Servantes. Les scénaristes ont pris peu de libertés avec le roman éponyme dans le déroulé des événements, mais leurs quelques ajouts (qui actualisent aussi un livre écrit il y a plus de trente ans) deviennent des évidences, humanisent et donc complexifient des personnages trop monolithiques, ternes et lisses sur papier.

 

 

 

Roman Jeunesse

Série CHERUB, Mission 1. 100 jours en enfer, Robert Muchamore

Éditions Casterman, 2004

 

Voilà encore une très originale série de livres pour ados dont j’ignorais jusqu’au titre ; je dois cette découverte à E., qui picore dans la bibliothèque de ses enfants et fait passer ses bonnes pioches. Robert Muchamore a imaginé une sorte de Mission Impossible à la sauce anglaise, en diminuant drastiquement l’âge des agents très spéciaux. Pour raison d’État, ils n’ont aucune existence officielle, car ils ont tous entre dix et dix-sept ans. Le département CHERUB (unité de recherches et d’espionnage rattachée au MI5) forme des enfants et des ados sans attaches, souvent déjà bien cabossés par la vie. La discipline, l’exigence, le travail mais aussi l’esprit d’équipe et la solidarité entre jeunes agents, leur permettent de reprendre pied, de se restructurer tout en trouvant une famille d’adoption sur un campus ultra-moderne, où ils apprennent les ficelles de ce métier un peu particulier. Sports, arts martiaux, langues rares, en plus du cursus scolaire réglementaire, le programme est ambitieux si on veut être très vite rompu aux techniques d’infiltration et de renseignement. Une fois cette formation achevée par une immersion en milieu très hostile (mode « Survivor »), les ados surentraînés sont envoyés en mission.

Cette série aurait vu virer un brin doctorale et moralisante, mais il n’en est rien ; les ados restent des ados, difficilement malléables, indépendants et rebelles. Les livres abordent les sujets d’aujourd’hui, les relations filles/garçons sont aussi compliquées que dans n’importe quel collège ou lycée, rien n’est simple pour ces agents en baskets. On remarquera que les temps ont changé dans la littérature de jeunesse anglaise depuis Enid Blyton ; à CHERUB, ce sont les filles qui tiennent le haut du pavé (physiquement et intellectuellement), sans avoir à renier leurs premiers signes de féminité ou à modifier leur prénom pour trouver leur place et exceller (les lecteurs gavés au Club des Cinq comprendront…).

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